Trevor Gould, Le pavillon d’Hannibal

Trevor Gould, Le pavillon d’Hannibal, 2014

Ensemble constitué de :

L’éléphant de Tiepolo : contreplaqué, styromousse, plâtre, argile, gouache

– Pavillon : béton, métal, verre

– Muret : peinture murale abstraite en ciment de brique

Lou Passavous, commune du Vernet

coordonnées gps : 44°16’ 57,9’’ 06°23’ 38,3’’

Œuvre réalisée dans le cadre du programme « Nouveaux commanditaires » de la Fondation de France.

 

Au début de la deuxième guerre punique contre Rome, en 218 avant notre ère, le carthaginois Hannibal conduit une armée de 30 000 hommes, plus de 15 000 chevaux et 37 éléphants pour franchir les cols en direction de l’Italie. Selon certaines hypothèses, le col de Larche se trouverait sur cet itinéraire, mais il n’est pas avéré par les historiens contemporains. En contre-bas, le lieu-dit Lou Passavous (passage en provençal) fut un lieu de transhumance et de migrations humaines (France – Savoie, puis France – Italie) pour motifs économiques, politiques et commerciaux. 

La superposition de ces deux histoires, détermine le contexte de l’œuvre de Trevor Gould. Elle prolonge ses thèmes sur la migration, la colonisation et la mise en exposition. La spectaculaire sculpture L’éléphant de Tiepolo est ici montée par un personnage hybride aux oreilles de souris. Maintenant une distance avec l’environnement, ils sont exposés dans un pavillon-vitrine, évoquant l’exposition de spécimens extraordinaires au musée ou au zoo. De l’intérieur du pavillon, l’amplitude du paysage est cadrée, ses vues imprenables sont autant de fenêtres ouvertes sur les histoires du site. Le contraste entre la sculpture isolée dans son pavillon et l’environnement est fort. L’œuvre paraît déplacée, voire exotique, mais historiquement, elle affirme la référence à l’épopée d’Hannibal, dans la lignée des multiples évocations artistiques du récit. Or, le décalage est immédiatement perceptible ; la figure hybride entre homme et animal n’a pas l’allure d’un chef de guerre. Elle porte plutôt à envisager la construction de l’image de l’Autre, selon l’artiste, ou simple incarnation de la conquête du monde par la domination de l’homme sur les territoires, et de la domestication du genre animal ? Ces données dessinent le sens de l‘œuvre, sans lui ôter sa dimension parfois mélancolique, souvent humoristique et, toujours, poétique.

 

« C’est en venant à Digne en 2004 sur l’invitation de Nadine Gomez que j’ai rencontré l’histoire d’Hannibal, le général carthaginois qui a traversé les Alpes dans sa marche vers Rome. J’ai tout de suite été frappé par l’image d’une quarantaine d’éléphants, comme une sorte de choc des registres, défilant dans le paysage provençal et traversant les Alpes en même temps que la chronique des moutons en transhumance vers les alpages. Le Vernet est le pivot géographique du Pavillon d’Hannibal. Mon travail réunit l’intérieur et l’extérieur du Pavillon qui abrite l’éléphant, ouvrant une vue vers Le pas d’Hannibal, posant une nouvelle géographie culturelle» Propos de l’artiste.

 

Né en Afrique du Sud dans une famille d’origine anglaise, Trevor Gould est diplômé en art du Johannesburg College of Art avant que le contexte violent de l’apartheid ne le pousse à poursuivre ses études au Canada où il s’installe, dès lors, définitivement (Montréal). Cet exil s’explique par son besoin de trouver un lieu où s’exprimer librement.

Son histoire personnelle guide ses questionnements et approfondissements de l’histoire complexe du colonialisme et du post-colonialisme. Elle détermine l’orientation de ses recherches artistiques sur l’identité, l’altérité, la réception et l’interprétation de l’histoire, en fonction de son contexte de présentation. Convaincu que les conditions et les modes d’exposition agissent sur l’interprétation – qui ne cache guère leur idéologie coloniale (ou raciste) sous-jacente – l’artiste interroge comment montrer différemment pour susciter la réflexion et la critique.

Sa démarche puise dans un registre culturel assez large : figures historiques, animaux sauvages, cabinets de curiosités, musées d’histoire naturelle… Elle croise les enjeux identitaires et scénographiques en créant des œuvres (dessins, peintures, sculptures, livres) et situations (installations) hybrides qui court-circuitent la pensée linéaire, engageant de multiples façons de penser l’histoire. Par exemple, la figure animale est très présente dans ses travaux ; si l’animal sauvage est familier pour un sud-africain, il est perçu par les occidentaux comme exotique. Outre son identité naturelle, dans l’univers de Trevor Gould, l’animal sauvage a une dimension hautement culturelle et symbolique ; il incarne le périlleux chemin vers la construction identitaire.