Richard Nonas, Edge-stone Vière et les moyennes montagnes

Edge-stones, Vière et les moyennes montagnes, 2012

150 blocs de calcaire du Luberon (80x25x40 cm.) formant trois alignements.
Hameau de Vière, commune de Prads-Haute-Bléone

coordonnées gps: nord 44° 15′ 22.33 » / est 6° 26′ 33.44 »

Oeuvre réalisée dans le cadre du programme européen Viapac – avec le soutien du programme « Nouveaux commanditaires » mandaté par la Fondation de France et du village de Prads Haute-Bléone

Collection musée Gassendi – don en 2012

 

Là où la montagne est le seuil, au « col » du monde, à 1200 mètres d’altitude, le hameau de Vière en ruines, abandonné et oublié depuis 1936, est dans une partie des plus reculées du territoire de Haute-Bléone.

À la demande des habitants, l’intervention artistique conserve la mémoire du lieu, inclut et préserve l’église médiévale, et met en évidence la géographie naturelle et sociale du village de montagne ; l’artiste choisit de rendre perceptible la tension entre vies humaine et naturelle. Il met au jour les limites naturelles (les « portes invisibles ») qui définissent l’endroit entouré par deux torrents et accessibles par deux sentiers (Saumelonge ou St Pierre de Beaujeu).

L’œuvre polyptyque de Richard Nonas, Edge-stones, adopte le motif de l’alignement scrupuleux de pierres pour souligner les lisières. Les blocs de calcaire taillés contraste avec la nature grandiose très présente. Ils définissent les relations du village avec son environnement et son histoire. Ils portent aussi la mémoire de celles et ceux qui ont disparu, comme des traces de vies effacées. Vues de loin, les pierres forment une ligne de points de suspension, elles sont posées sur le sol, dans les prairies, comme partie intégrante du territoire où elles semblent indiquer une direction, plutôt que d’appeler une contemplation.

– Le premier alignement marque la première limite avec l’extérieur ; il constitue une limite entre l’église du hameau et les montagnes noires.

– Le second crée une connexion entre le moulin, le verger et l’école.

– Le troisième, derrière la paroi rocheuse, est la dernière lisière de Vière, sa barrière immédiate contre l’invasion de la forêt, mais aussi sa relation avec les autres hameaux minuscules, plus bas dans la vallée, dans l’ancienne paroisse de Mariaud.

L’intervention de Richard Nonas est complétée par la pose d’une couverture partielle du toit en mélèze sur l’église romane en ruine, visant à arrêter le processus de destruction et à offrir un abri pour la nuit à des randonneurs.

“C’est l’ambiguïté qui m’intéresse. L’immédiateté. Je recherche l’arête de l’ambiguïté, les confins du changement, la balle au faîte de la pente: les objets, les idées, les moments qui ne sont ni une chose ni une autre, mais une chose qui devient une autre. Une quasi clarté sur une presque confusion, voilà ce que je veux. – C’est la dissonance que je veux. – la dissonance du lieu, pas de la chose ; la dissonance des objets dans leur croisement contradictoire. C’est la tension que je veux ; le malaise que même des lieux familiers peuvent susciter – les significations complexes qui s’échappent, mais pas trop loin. Ce que je veux, ce sont des mondes ; des mondes distincts, entiers et miroitants de doute – des mondes à admettre mais jamais à expliquer. » (extrait de Richard Nonas, Fieldwork, éditions Analogues, 2010)

Richard Nonas porte sa propre conception du lien, sensible et conceptuel, entre la sculpture, l’espace et le lieu. Selon lui, la forme sculpturale se fait l’écho des ressentis instinctifs qu’un lieu dégage. Elle le définit, soulève ses limites, ravive ses usages et finit par le transcender. Toujours intimement liée à l’histoire du lieu, la forme simple et répétitive des sculptures provoque une tension vibratoire, engageant le mouvement du corps et de l’esprit. Elle accomplit l’expérience phénoménologique.

L’anthropologie marque aussi à jamais les propositions de Richard Nonas. Pendant plus de dix ans, il a côtoyé diverses tribus autochtones au Canada et au Nouveau Mexique. Leur appréhension de la nature en lien avec leur culture déploie un caractère intrinsèque que les œuvres de l’artiste soulignent. Ses propres projets in situ restent, à leur tour, attentifs à la nature d’un territoire donné, son histoire, ses richesses, ses contraintes…

L’artiste est reconnu à l’échelle internationale depuis les années 80. Plus d’une vingtaine de sculptures extérieures, intérieures, temporaires, permanentes, suivent un même schéma de réalisation, mais très diversement mis en œuvre selon le lieu et les matériaux utilisés, acier, bois ou pierre. Néanmoins, toujours, les œuvres de Richard Nonas, ne prennent pas seulement place dans l’espace, elles le révèlent et, plus encore, elles le déterminent en en donnant la mesure et en pointant son potentiel devenir ou basculement.