Joan Fonctuberta, Les hydropithèques

Joan Fontcuberta

Joan Fonctuberta, Les hydropithèques, 2003

bas-reliefs en résine fixés sur roches, dimensions diverses
Vallée du Bès et de la Bléone

Le solitaire. Site 1 :  Cascade du Jardin Saint-Benoît, Digne-les-Bains.

44°06’33 » / 6°13’34 »

 

Les amoureux. Site 2 : Pont suspendu, sentier vers la lame de Facibelle, près d’Esclangon, vallée du Bès, La Robine-sur-Galabre, D900a

44°12’25,91’’/ 6°16’22,24 »

 

La Sainte Famille. Site 3 : Grotte du Pas de Lintron, entre les clues de Verdaches et le Saut de la Pie, vallée du Bès, Barles, D900a

44°16’16,0’’ / 6°17’43,0’’

 

Le troupeau d’hydropithèques. Site 4 : Barre des Trembles, vallée de la Bléone, piste entre St Pierre de Beaujeu et Vière, Beaujeu, D757

44°13’50,47’’ / 6°24’13,78’’

 

Scène de crime. Site 5 : Site d’escalade près de Blégiers et Hyere,Prads-Haute Bléone, vallée de la Bléone

44°11402,1’’ / 6°25429,2’’

Commande dans le cadre du programme VIAPAC

 

Le caractère insolite du territoire dignois encourage le dialogue entre axiomes scientifiques et imaginaires ou croyances associés au mythe de nos origines. Les hydropithèques signalés par l’artiste Joan Fontcuberta, sont les fossiles de squelettes de sirènes, une nouvelle espèce paléontologique ancêtre de tous les hominidés européens. L’imaginaire va galopant, d’un site à l’autre du parcours, entre les communes de Digne, Barles, Verdaches, Beaujeu et Prads-Haute-Bléone. On est invité à aller voir de ses propres yeux, cette espèce, nulle part ailleurs connue. Chaque site présente une étape dans la progression du niveau d’organisation sociale chez ces hominidés, nous informe l’artiste.

L’oeuvre-parcours s’envisage de différentes façons. Au premier degré, ignorant la dimension fictive de ces trouvailles, on peut se laisser bercer – et berner – par le discours poético-scientifique, sensiblement décalé. En effet, l’artiste y introduit savamment suffisamment d’indices pour renseigner la nature imaginaire des bas-reliefs et du discours associé. Du point de vue artistique, il s’agit d’un projet entièrement dévolu au principe de falsification si cher à l’artiste. Le sachant, le récit élaboré sur chacun des spécimens fossilisés les inscrit dans une réflexion sur l’invraisemblable, sans jamais éluder la qualité formelle des bas-reliefs intégrés aux parois rocheuses desquelles ils paraissent émaner.

 

« Pourquoi croire aux photos ? Pourquoi invariablement accorder une confiance sans borne à l’œil mécanique de l’appareil photo ? »  Joan Fontcuberta, 2000. Volte face à l’envers de la science, les leçons de l’histoire. Images en manœuvre éditions.

« Je pense que ce projet est l’aboutissement d’intérêts différents qui ont toujours nourri mon travail. Ici, j’insiste sur la crédibilité et sur le conflit entre la réalité et la fiction, entre le naturel et l’artificiel… En arrière plan on y retrouve une remise en cause ironique du monopole de la vérité détenue par l’histoire.

Aussi, je m’interroge sur la muséification de la nature, c’est à dire sur les questions de fictions culturelles et de conventions idéologiques qui gèrent la notion d’oeuvre et de mise en scène. » entretien avec Nadine Gomez-Passamar dans VIA Pour l’Art Contemporain, 2012, p.123.

 

Ayant grandi sous la dictature franquiste, l’artiste catalan Joan Fontcuberta forge ses convictions et fixe ses orientations sur une critique aiguë du pouvoir et la manipulation des images, dont sa formation en Science de l’information et sa pratique du journalisme lui font appréhender les travers. Parallèlement, son activité artistique se développe à partir de constats forts ; l’image n’est pas la réalité ; sans discernement, la foi en l’image aveugle. Les enjeux sont non seulement esthétiques, mais également philosophiques et politiques. Ainsi, les dispositifs complexes qu’il active reposent sur leur crédibilité, leur vraisemblance et les moyens de leur mise à l’épreuve. Par un travail narratif élaboré, faisant référence à des rapports scientifiques que rien ni personne ne soupçonne d’approximation, encore moins de supercherie, l’artiste malicieux invente des histoires de découvertes scientifiques fondamentales qui en diraient long sur nos origines (Fauna, 1989). Tout porte à y croire ; les histoires qu’il raconte rassemblent tous les arguments et détails pour les faire entrer dans le champs de la connaissance : faux documentaires, images truquées, spécimens d’animaux inventés, figure du scientifique composée… sont conçus selon la codification et le langage exacts des sciences. Les lieux mêmes des découvertes sont si précisément choisis qu’ils constituent le juste fondement de ces élucubrations.

Si d’apparence, Joan Fontcuberta renvoie aux farces et attrapes, il vise – avec un degré si aigu de sérieux qu’il en est risible – à conjurer les régimes et discours d’autorité. Le fil rouge de toutes ses démonstrations est l’introduction d’un doute méthodique quant à la nature des affirmations et l’autorité des postures qu’il adopte, scientifiques, politiques, religieuses ou artistiques.