traces
points
2004-2006
polissage de roches, gravures et feuilles d’or
ici à Champtercier,
chance & change au Cousson,
to be à Faillefeu,
ainsi à Trévans.
Depuis 2001, sur l’ensemble du territoire de Haute-Provence, sur des rochers à flanc de montagne, au bord de torrents ou dans des villages abandonnés, l’artiste a choisi de disséminer des formules, mots ou symboles suscitant autant l’interrogation que la contemplation au regard de leur situation dans les lieux soigneusement choisis.
À l’origine de la forme-point, herman de vries se réfère au philosophe Ludwig Wittgenstein dans le Tractacus-logico-philosophicus (2.0131). Dans un livre d’artiste de 1968 (publié en 2003 aux éditions Incertain Sens), argumentstellen, il imprime un minuscule point noir sur chacune des interprétations d’une proposition du philosophe. En dernière page il le cite : « L’objet spatial doit se trouver dans l’espace infini. (Le point dans l’espace est un lieu d’argument). » Quand les pages blanches de son livre portaient un point minuscule, c’est à dire presque rien, les points dorés inscrits dans le paysage sollicitent la pensée et donnent à ressentir. Au détour d’un chemin, à la croisée d’un soupçon de clarté, l’expérience esthétique délicate proposée par le point ou la trace – fragment philosophique – donne lieu à une halte spirituelle et sensible du monde, en échappant au langage projeté en de simples mots-liaisons entre moi et le monde.
« le point a une existence par la représentation que nous en avons. un point n’est en lui-même qu’une idée. un point sur une page détermine l’image de la page, influe sur la perception de l’espace qui l’entoure. un point dans le paysage y est en relation avec ce paysage, dans l’espace, grand ou petit, là où il est placé.
point spatial, point de départ, point de vue, point de repère, point dans le continu. le point est dans l’espace illimité. celui qui tombe sur ce point voit ce paysage dans son champ de vision particulier. tous les champs de vision possibles sont donnés. » herman de vries
La fascination pour le monde naturel de l’artiste néerlandais herman de vries est aux fondements de son art, qui puise lui-même dans une intime connaissance des plantes favorisée par son activité en tant que chercheur en sciences botaniques. Botaniste avant d’être un artiste (1953) à l’inclination spontanée pour les questions écologiques au sens premier, il relie le monde naturel aux cultures du monde et s’applique à démontrer l’universalité du paysage et la réalité primaire de la nature. Dès lors, l’art et la vie se nouent. Dès ses débuts, il adopte le voyage comme moyen de connaissance du monde, mais avec une grande humilité.
À la fin des années 50, il s’intéresse à la pensée du bouddhisme zen par la lecture de Daisetz T. Suzuki (Zen and Japanese Culture) ; elle lui instruit que seule l’illusion de l’ego conduit à croire que l’on serait séparé des autres et du monde vivant. Il reçoit aussi l’influence fondatrice de Maître Eckhart (Pourquoi nous devons nous affranchir même de Dieu) parallèlement à celle du théoricien de l’anarchisme Pierre Kropotkine, confirmant la répulsion d’herman de vries pour toute pensée hiérarchique ; ce sentiment s’accomplit lorsqu’il décide d’abolir les lettres majuscules de son nom, de tous ses écrits et publications. Dans les années 70, il réalise plusieurs performances par lesquelles il tente de démontrer que la nudité favorise l’expérience de l’unité cosmique. Certains aspects de la philosophie de Ludwig Wittgenstein deviennent le ferment de recherches et propositions artistiques (the wittgenstein papers). Livre d’artiste, tableaux conduisent une réflexion sur la relation au monde, quand le langage touche ses limites : « Il y a assurément l’indicible, il se montre, c’est le mystique » (Wittgenstein, Tractacus, proposition 6.522). L’oeuvre d’herman de vries cherche à initier une autre manière d’être au monde, dans la fusion avec la nature, dans la réconciliation des vivants. Dans le monde tout se tient, tout est continu, même les antagonismes. Le sentiment d’appartenance relie toutes les actions qu’il entreprend, avec la conviction profonde de réaliser lui-même ce qu’il tente de transmettre par son art simple, spontané, dépourvu de fioritures pour déclarer la force de la vie sur tout le reste, inutile.
Digne :
herman de vries est venu pour la première fois à Digne-les-Bains en 1999 sur une invitation du CAIRN centre d’art. Il commence à explorer le territoire de la Réserve Géologique de Haute-Provence en réalisant quelques collectes pour les frottages de terres. Depuis ce jour, herman de vries est régulièrement revenu à Digne pour réaliser des œuvres, autant dans le musée que dans le territoire de la Réserve Géologique. Une estime réciproque s’est développée entre l’institution invitante et l’artiste, mais c’est aussi la qualité et la richesse du territoire qui conduit l’artiste à dire que « (…) digne est rapidement devenue une part de moi-même, elle a pris une place dans mon cœur, car c’est quasiment le seul endroit au monde où je n’ai trouvé que pure poésie. » (de vries, 2003). Le musée Gassendi conserve la plus grande collection au monde d’œuvres d’herman de vries.
((nous respectons la volonté de l’artiste d’écrire son nom et les titres de ses œuvres en lettres minuscules. herman de vries exprime de cette façon son opposition à toute hiérarchie.))